Décloisonner le monde des EHPAD et de l’aide à domicile
Face au vieillissement de la population française, le maintien à domicile, plébiscité par les Français, s’impose comme la meilleure solution économique et sociale. Mais comment garantir une prise en charge et un suivi médico-social de qualité ? Albert Lautman, Directeur Général de la Mutualité Française est formel, il faut inventer le modèle de la prévoyance de demain. Décryptage.
Dépendance en 2018, un diagnostic peu encourageant
Quelques semaines après la clôture de la concertation nationale, lancée par la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, la Mutualité Française tire la sonnette d’alarme. « Les Français supportent le reste à charge le plus élevé en Europe de l’ordre de 2 000 euros par mois en moyenne pour un hébergement en EHPAD », rappelle Albert Lautman, Directeur Général de la Mutualité Française. « Et ce reste à charge peut varier du simple au double d’un département à l’autre. » Qu’il s’élève à 2 000 euros ou plus, le reste à charge est supérieur, pour un résident sur deux, aux pensions de retraite et aux aides accordées par l’État. « Ce n’est pas satisfaisant ! »
Une autre « spécificité française » : le recours important à la prise en charge hors domicile. « À l’échelle européenne, 32% en moyenne des personnes en perte d’autonomie vivent en EHPAD, contre 41% dans l’Hexagone. Et ce, malgré le souhait d’une majorité de Français de rester le plus longtemps possible à leur domicile. »
Le nombre de résidents qui arrivent en Ehpad avec un niveau de perte d’autonomie plus important induit une « charge plus lourde » pour les personnels. « L’organisation et les moyens n’ont pas été suffisamment adaptés pour absorber efficacement cette charge » Dans ce contexte, Albert Lautman juge non seulement urgent d’adapter les EHPAD mais surtout d’inventer des solutions pour répondre aux besoins des personnes âgées en perte d’autonomie.
« Nous ne sommes pas préparés à l’arrivée massive du papy-boom »
« Les deux précédents quinquennats ont tenté d’aborder la question du reste à charge et de la prise en charge de la dépendance, sans pour autant se traduire par des réformes totalement satisfaisantes », déplore le Directeur Général. Si les mesures tardent à venir, un autre élément inquiète la Mutualité Française : le futur papy-boom. Aujourd’hui majoritairement à la retraite, la génération d’après-guerre s’apprête à rentrer dans le grand âge. Là encore, le constat est sans appel :
« Au sein d’un système déjà remis en question et à bout de souffle, nous ne sommes pas préparés à cette arrivée massive des baby-boomers. »
Sans initiatives concrètes pour améliorer à la prise en charge des personnes en perte d’autonomie, une « situation extrêmement dégradée » attend nos aînés.
L’EHPAD hors les murs, une des solutions d’avenir du maintien à domicile
En plus de tirer la sonnette d’alarme, la Mutualité Française a publié fin 2018 une série de propositions afin d’améliorer la prise en charge de la perte d’autonomie. Notamment grâce à la mise en place d’une offre médico-sociale nouvelle, cohérente et globale dont l’application permettrait de déployer « l’EHPAD hors les murs ». Derrière ce concept, une organisation pluri professionnelle coordonnée entre le médecin traitant, les équipes d’infirmières, d’aides-soignantes de l’EHPAD et si besoin de services d’accompagnement social et d’aide à domicile.
« En clair, rapprocher le monde des EHPAD de celui de l’aide à domicile et ainsi décloisonner le social et le médico-social »
explique Albert Lautman.
Pour permettre les synergies entre l’accompagnement renforcé à domicile et l’EHPAD actuel, plusieurs possibilités se dessinent. Tout d’abord, permettre aux établissements de rayonner sur l’ensemble de leur territoire. « Des équipes d’infirmières ou d’aides-soignantes pourraient, par exemple assurer aussi bien la prise en charge des résidents que se rendre au domicile des personnes en perte d’autonomie dans leur bassin de vie. » Un bon moyen de soulager les familles aidantes. Mais à condition de reconnaître et prendre en compte la charge de travail des personnels.
Autre proposition, la possibilité de mutualiser les savoir-faire. « Par exemple, les consultations avancées de médecins spécialistes, en particulier dans les zones en sous-densité médicale. » Dermatologues, cardiologues, mais également médecins libéraux ou praticiens hospitaliers exerçant à proximité pourraient intervenir en EHPAD et au sein des habitations alentour, de manière ponctuelle.
En parallèle de la prise en charge, des propositions sur la prévention de la dépendance et le soutien aux aidants ont également été formulées. « Le service à la personne en perte d’autonomie au sein de l’ensemble des établissements et à domicile devrait systématiquement s’accompagner d’un soutien psychologique à l’aidant », détaille Albert Lautman.
« Pas d’approche jacobine, mais la nécessité de coordonner les initiatives »
De nombreuses initiatives existent déjà ou commencent à émerger pour tenter de réinventer le modèle de prise en charge actuel. Depuis 2014, le parcours de santé des ainés Paerpa tente de maintenir la plus grande autonomie le plus longtemps possible dans le cadre de vie habituel de la personne sur des territoires pilotes. Sur d’autres, des réseaux gérontologiques ont été conçus. Certaines collectivités locales de leurs côtés ont même mis en place des plateformes de services, en lien parfois avec des maisons de l’autonomie, elles-mêmes parfois dépendantes de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH)… « Les aidants ont du mal à s’y retrouver parmi tous ces dispositifs superposés ! »
Les idées sont pourtant bonnes. « Nous ne pensons pas qu’il faille adopter une approche jacobine de la dépendance et de la perte d’autonomie », souligne le Directeur Général. « En revanche, il est nécessaire pour chaque département d’organiser la coordination de ces dispositifs. L’objectif étant d’y avoir accès grâce à un point d’entrée unique et de disposer des informations et de solutions claires d’orientation pour organiser efficacement la prise en charge. Le modèle actuel de prise en charge de la perte d’autonomie doit changer sous peine d’aggraver le reste à charge et les inégalités », conclut Albert Lautman.