Le regard expert : les bonnes pratiques pour anticiper les exigences de la CSRD

La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) marque un tournant majeur dans le reporting extra-financier européen. Elle impose aux entreprises de repenser en profondeur leur façon de collecter et de présenter leurs données ESG. Comment s’y préparer efficacement ? Quels sont les points de vigilance ? Quelles évolutions anticiper pour les PME et ETI ? Interview de Bertille Crichton, associée au sein de Grant Thornton International.

Notre experte : Bertille Crichton
Associée chez Grant Thornton au sein du métier Transformation durable, Bertille Crichton met son expertise au service des entreprises confrontées aux enjeux environnementaux. Ingénieure de formation, spécialisée dans l’évaluation des risques environnementaux et de sécurité, elle a débuté sa carrière dans l’industrie en tant qu’ingénieure HSE, l’a poursuivie en cabinet d’ingénierie environnementale puis au sein d’un big four. Elle a ensuite rejoint Grant Thornton pour intervenir sur des missions de stratégie RSE /ESG, dont la CSRD.

Quels sont les éléments clés à prendre en compte pour structurer un rapport de durabilité conforme aux exigences de la CSRD ?

La CSRD impose un cadre beaucoup plus strict que la Déclaration de performance extra financière (DPEF). Le document s’articule autour de quatre parties obligatoires : une introduction présentant les éléments transversaux (méthodologie, stratégie, business model), suivie des trois piliers ESG – Environnemental, Social et Gouvernance. L’importance relative de chaque section est déterminée par la double matérialité, véritable clé de voûte permettant d’identifier les impacts, risques et opportunités (IROs) spécifiques à l’entreprise et à sa chaîne de valeur.

Pour réussir cet exercice, une gouvernance claire est essentielle. Nous recommandons de désigner des responsables transverses (souvent le DAF et le directeur/responsable RSE ou le directeur/responsable RSE et le directeur/responsable conformité) pour piloter le projet et suivre de manière transverse l’ensemble des contributions. Il est aussi essentiel de former et sensibiliser les différents contributeurs à la collecte des données dont ils sont responsables et à la rédaction de leurs thématiques. Pour la rédaction du rapport de durabilité, généralement, les entreprises font d’abord un plan très détaillé avec les data points à l’intérieur de chaque sous-partie, puis elles rédigent. Nous recommandons de fixer des cycles de rédaction de quatre à cinq mois.

Comment les entreprises peuvent-elles garantir la transparence de leurs rapports de durabilité ?

La CSRD fixe un cadre précis pour assurer la transparence des rapports de durabilité. Un des éléments clés de cette transparence réside par exemple dans le narratif qui accompagne la double matérialité. Intégré dans la première partie du rapport, ce narratif explique la méthode utilisée et démontre comment tous les sujets RSE touchant l’entreprise et sa chaîne de valeur ont été analysés. Lorsqu’une entreprise est accompagnée dans cet exercice, nous recommandons que ce narratif soit rédigé par le cabinet de conseil chargé du projet, car il fait partie intégrante de la démarche.

Cette explicitation est essentielle pour deux raisons : elle permet aux lecteurs de comprendre comment la double matérialité a été appliquée par l’entreprise et elle sert de base aux auditeurs de durabilité pour vérifier la bonne application de la méthodologie. L’enjeu est de démontrer que l’analyse des sujets RSE a été menée de manière exhaustive pour identifier ce qui est véritablement matériel, c’est-à-dire spécifique, pour l’entreprise et sa chaîne de valeur.

Quels sont les principaux défis liés à la collecte de données ESG et quelles sont les méthodologies recommandées pour faciliter cette collecte ?

La collecte des données ESG représente un défi majeur de la CSRD, notamment en raison de la quantité d’informations à produire et de leur diversité. La complexité est d’autant plus grande que ces données doivent être collectées au sein de l’entreprise et auprès de sa chaîne de valeur amont et aval. Cette extension du périmètre, qui va au-delà des exigences de la DPEF, nécessite une organisation rigoureuse et une réflexion approfondie sur les outils à mobiliser.

Pour relever ce défi, la première étape consiste à faire l’inventaire des outils existants dans l’entreprise : SIRH, systèmes de pilotage des achats, Learning Management System, outils RSE… Certaines entreprises optent pour optimiser l’existant, par exemple, en ajoutant des modules complémentaires.

Pour consolider les données, un fichier Excel bien structuré peut suffire dans les premières années si la collecte reste simple. L’important est d’avoir un document centralisé plutôt que de laisser chaque contributeur créer son propre fichier Excel, ce qui compliquerait la consolidation. En revanche, si la collecte s’avère complexe, l’investissement dans un outil de reporting dédié peut se révéler pertinent.

Les PME sont souvent confrontées à des contraintes spécifiques pour se conformer à la CSRD. Que doivent-elles anticiper dès à présent ?

Pour les PME concernées par la première échéance de la CSRD, l’anticipation est clé. Il n’est pas nécessaire d’avoir une parfaite connaissance de l’ensemble de ses datapoints matériels au 1er janvier, mais l’important est d’initier la démarche et de dérouler progressivement la double matérialité et la gap analysis. La priorité est de sensibiliser les dirigeants pour obtenir le soutien du top management et de former les responsables opérationnels clés.

Pour les PME et ETI, nous recommandons une approche proportionnée de la double matérialité, établie sur les risques sectoriels et les attentes des parties prenantes. Si l’entreprise est peu exposée aux enjeux RSE, une approche simple, mais rigoureuse, suffit. En revanche, face à des donneurs d’ordre, clients ou investisseurs exigeants sur ces sujets, un travail plus approfondi est fortement recommandé.

Quels sont les risques à ne pas produire de rapport de durabilité ?

Le non-respect de la CSRD expose d’abord à un risque financier, avec une amende pouvant aller jusqu’à 75 000 euros en cas d’entrave à l’audit. Si ce montant peut sembler limité à l’échelle d’une grande entreprise, le véritable risque est ailleurs : ne pas se conformer à la CSRD, c’est se mettre en marge d’un écosystème dans lequel les attentes ESG sont devenues incontournables.

Les donneurs d’ordre intègrent de plus en plus de critères ESG dans leurs appels d’offres, les banques les incluent dans leurs conditions et les investisseurs en font un critère de décision. Ne pas répondre à ces attentes, c’est risquer de se couper d’opportunités business cruciales. L’enjeu n’est donc pas tant réglementaire que stratégique.

Quelles sont, selon vous, les évolutions futures du reporting ESG et comment les entreprises peuvent-elles anticiper les prochaines étapes de la réglementation européenne au-delà de la CSRD ?

Deux évolutions majeures se profilent dans le paysage du reporting ESG européen. La première concerne l’introduction du tagging XBRL (eXtensible Business Reporting Language), un système de balisage standardisé des données financières et extra-financières, dans les rapports de durabilité. Bien que la date d’application obligatoire ne soit pas encore fixée, l’EFRAG encourage déjà son utilisation volontaire. Ce système permettra de publier les rapports sur une plateforme européenne commune, facilitant la comparabilité des données entre entreprises et renforçant leur attractivité auprès des acteurs financiers.

La seconde évolution majeure est la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), la directive européenne sur le devoir de vigilance, publiée au Journal officiel le 5 juillet dernier. Elle sera applicable dès 2027 pour les entreprises de plus de 5 000 salariés et au chiffre d’affaires mondial de plus de 1,5 milliard d’euros.

Là encore, les entreprises ont tout intérêt à anticiper ces évolutions.

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